En général, quand deux personnes se rencontrent, il est hautement probable qu’à l’intérieur d’une période de 15 minutes, l’une des deux personnes aura demandé à l’autre ce qu’elle fait dans la vie et/ou si elle a des enfants. L’humain a cette tendance innée à s’identifier à des rôles sociaux, le plus important étant souvent le rôle social lié au travail, le second étant celui lié au rôle de parent.

D’ailleurs, c’est souvent l’absence de ‘travail socialement reconnu’ qui est vécu comme un stress par les mères au foyer qui ne peuvent pas s’identifier à un travail rémunéré (et donc socialement et économiquement accepté) lorsqu’on leur demande ce qu’elles font dans la vie. Ca prend souvent une personnalité de fer pour affirmer haut et fort qu’on est une maman à la maison et qu’on en est très fière.

Donc, l’humain a cette tendance et ce besoin de s’identifier.

Quand le travail n’est pas réellement apprécié par une personne et donc, ne peut servir au processus d’identification (‘je suis médecin’, ‘je suis comptable’), on voit souvent apparaître le passe-temps comme outil d’identification.

On sera donc une personne qui fait des triathlons, qui est un expert en ski, ou qui dirige une chorale de 100 personnes. Un coach de vélo me disait récemment que certaines personnes sont devenues tellement fanatiques de triathlons que ceci peut parfois mener à un divorce. Tout se met à tourner autour du passe-temps qui permet à la personne ‘d’être quelqu’un’.

Étrangement, j’ai vu apparaître au cours des années un troisième processus d’identification chez les gens. On me dira alors qu’on est ‘anxieux’, ‘déprimé’, ‘TDAH’. Ne vous méprenez pas sur mes mots. Je suis complètement consciente que ces troubles mentaux existent et que les gens qui en souffrent ont besoin de notre aide et de notre soutien. Mais là n’est pas mon propos. Ce que j’ai vu apparaître au cours des années est un processus d’identification à certaines maladies mentales.

Lors d’une première conversation, certaines personnes ne se présenteront pas à l’autre en parlant de leur travail ou de leur passe-temps, mais en ouvrant la conversation sur leur trouble mental. Ceci a l’avantage d’éliminer le stigma lié aux troubles mentaux, mais en même temps, je me demande en quoi cela sert la personne. Pourquoi la personne ressent-elle le besoin d’ouvrir la conversation en choisissant de parler de son problème mental au lieu de parler de son emploi, de sa famille, ou de son passe-temps?

C’est comme si dans certains cas, un diagnostic de maladie mentale servait au processus d’identification de la personne.

Je ne peux m’empêcher de trouver dangereux le fait de s’identifier à un trouble mental. Dangereux car cela peut mener à des effets pervers. S’identifier à quelque chose est extrêmement important pour l’humain. Cela nous définit par rapport aux autres et nous permet d’entrer en interaction avec autrui.

Mais quand une personne se définit d’abord et avant tout par une maladie mentale, elle occulte tous les autres aspects de sa personnalité et ceci peut avoir un impact sur sa vie personnelle, professionnelle et sociale. Ainsi, se définir essentiellement par sa maladie mentale peut mener entre autres à de l’isolement social. Également, les gens cesseront parfois de confier des responsabilités à une personne souffrant d’un trouble mental de peur que cette personne ne puisse assumer ces responsabilités. Un autre effet pervers connu est la minimisation des capacités. Par exemple, un parent pourra dire à un jeune adulte souffrant d’un trouble mental que cela ne sert à rien de retourner à l’école car il/elle n’aura pas les capacités pour terminer ses études. Tous ces effets pervers de l’identification primaire à un trouble mental auront des impacts sur la qualité de vie de la personne.

Nous sommes plus que notre travail. Nous sommes plus que notre passe-temps. Nous sommes plus que notre maladie mentale.

Au cours des années, j’ai entendu beaucoup de parents s’identifier à travers leurs enfants. Dans les 15 premières minutes d’une conversation avec un parent, on apprendra que leur fils est un champion de ski, qu’il est dans le Midget 3A au hockey ou que leur fille est championne provinciale de gymnastique. Cette attitude est normale et elle existe depuis la nuit des temps.

Mais j’ai aussi entendu des parents identifier leur enfant par leur maladie mentale. ‘Mon fils est un anxieux’. ‘Ma fille a un trouble de l’attention’. ‘Ce n’est pas encore clair si mon fils est Asperger ou anxieux’.

Et à chaque fois que j’entends des parents identifier ainsi leur enfant, les poils me dressent sur les bras parce que les enfants entendent ces propos et les internalisent, c-à-d. ils commençent à s’identifier de cette manière. Dans des conférences que je donne dans les écoles, j’ai vu de jeunes adolescents venir me voir et me dire en guise d’introduction ‘Bonjour Madame. Je suis anxieux(se)’. A chaque fois, je leur réponds en leur demandant : ‘Quel est ton nom?’. Souvent, ils ne semblent pas comprendre pourquoi je tourne ainsi la conversation en leur demandant leur nom.

‘Parce que tu es plus qu’une maladie mentale mon coco ou ma cocotte’.

Les troubles mentaux sont très souvent passagers. Ils vont, viennent et parfois disparaissent à jamais. Nos enfants sont bien plus qu’une maladie mentale. Et même s’ils font face à une problématique de santé mentale aujourd’hui, tout est à parier qu’ils iront mieux avec le temps parce qu’ils auront appris à négocier avec cette maladie mentale. Ils ont rencontré un noeud dans leur vie. On pourra les aider à dénouer le noeud. Mais pour ce faire, il faut éviter au maximum de les identifier essentiellement par leur maladie mentale.

Dans mon laboratoire, on s’intéresse de plus en plus à l’impact du stress à l’enfance sur la vulnérabilité aux troubles mentaux à l’âge adulte. Et quand on parle à des adultes de leur enfance, beaucoup d’entre eux nous diront qu’ils se sont sentis très stressés d’être mis dans un carcan d’identification à l’enfance. ‘Je devais être le parfait enfant sportif’. ‘Je devais être celui ou celle qui deviendrait médecin’. ‘J’étais la super-timide de la famille selon ma mère’. ‘J’étais l’anxieux par excellence selon mon père’. ‘J’étais l’imbécile qui n’allait jamais rien faire dans la vie’.

En enfermant ainsi nos enfants dans des carcans d’identification, on les prive de la richesse infinie de leur personnalité. Après 25 années de recherche scientifique sur le stress humain, je crois fermement que la richesse des humains, c’est la variabilité. La variabilité entre nous (il n’y a pas deux personnes qui sont semblables en tous points) et la variabilité à l’intérieur de nous (nous sommes une multitude de choses et avons une multitude de rôles). Et c’est cette variabilité qui est la clé de l’évolution de l’espèce.

Alors permettons à nos enfants d’être plus qu’un sport ou un état mental. Permettons-leur même de n’être rien. Car en leur permettant de n’être rien, on leur permet d’être tout. Tout ce qu’ils désirent.

Et c’est cela, la clé d’une bonne santé mentale.

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